(Editions Flammarion)
Evelyne Heyer, professeur d’anthropologie génétique au muséum national d’histoire naturelle, au fil d’une enquête passionnantes entraîne ses lecteurs, d’une plume alerte, dans un voyage sur nos origines dans le droit fil des trois questions que se posent les humains : D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons nous ?
Les recherches entreprises sur l’ADN s’avèrent en effet essentielles pour comprendre l’évolution de notre espèce au cours des âges, les relations entre l’homo sapiens et les autres races humaines ou préhumaines et surtout l’émergence de l’intelligence qui nous différencie des autres animaux peuplant notre planète.

L’ADN carburant de toute évolution
L’aléa génétique est le carburant de toutes les grandes inventions évolutives depuis l’origine de la vie : la respiration des premières bactéries qui a enrichi l’atmosphère en oxygène, le passage d’organismes unicellulaires à des individus constitués de plusieurs cellules, l’apparition du cerveau comme système nerveux central. Ces mutations sont fondamentales car elles sont le moteur de l’évolution. Aucun organisme vivant n’existerait sans elles.
Lors de chaque division cellulaire, l’ADN est recopié afin de fournir deux exemplaires d’ADN qui habiteront les cellules filles. Cette copie n’est pas parfaite. De façon aléatoire des erreurs se glissent dans la reproduction. Notre ADN contient trois milliards de lettres, or seules trente et quarante mutations entachent en moyenne sa copie à chaque génération ce qui correspond à soixante-dix coquilles pour chaque nouvel être humain. Ce sont ces mutations qui constituent un réservoir de potentialités pour des adaptations futures.
Les chercheurs à l’œuvre
L’étude de l’ADN apparaît donc comme une formidable machine à remonter le temps, puisque la molécule est en fait formée d’une mosaïque de fragments d’ADN reçus de nos ancêtres. Mais comment les chercheurs procèdent-ils pour explorer cette piste ?
C’est en extrayant de l’ADN des sédiments prélevés dans les grottes préhistoriques que les paléogénéticiens parviennent à résoudre les mystères posés par l’évolution. En étudiant les sites préhistoriques, ils ont pu dresser une sorte de carte dans le temps et l’espace.
Voici 60 000 avant notre ère, cinq espèces humaines cohabitaient sur la terre. En plus de Sapiens, les hommes de Néanderthal et de Denisova qui avaient en commun avec nous les groupes sanguins A, B et O. L’homo floresiensis, le hobbit de la préhistoire vivant sur l’île de Florès et mesurant entre un mètre et 1m 10, tout comme l’homme de Luçon haut d’1 mètre 20 demeurant au nord des Philippines ont très tôt disparu. Mais Sapiens a longtemps co-existé avec les deux autres races d’hommes : Néanderthal dont la lignée s’était séparée de la nôtre 700 000 ans avant notre ère et qui vivait en Eurasie ainsi que l’homme de Denisova dont les restes ont été retrouvés dans la grotte du même nom située dans les monts de l’Altaï en Sibérie et qui peuplait l’Asie.
C’est 30 000 ans avant notre ère que ces races cousines se sont progressivement éteintes sans que les raisons de leur disparition soient élucidées. Et l’homo sapiens est resté la seule espèce humaine sur la terre.
Sapiens et Néanderthal
Grâce aux recherches des anthropologues, il a été possible de déterminer l’origine africaine de notre espèce. On date de 70 000 ans avant notre ère la sortie d’Afrique de Sapiens et son installation en Europe où il semble qu’il y ait eu quelques croisements avec les Néanderthaliens avant la disparition de ceux-ci.
De grandes ressemblances existaient en effet entre les deux espèces. Les néanderthaliens possédaient un cerveau aussi gros que le nôtre, voire plus. Ils enterraient leurs morts et avaient développé une culture symbolique. Ils maitrisaient le feu, chassaient en groupe et fabriquaient des outils. D’autre part ils étaient équipés d’un système phonatoire et auditif très proches des nôtres ce qui laisse à penser qu’ils étaient aptes à parler. Toutefois l’originalité du langage humain ne provient pas seulement de l’émission des sons mais de l’association de phonèmes ou de syllabes pour produire des mots puis des phrases. C’est la richesse de cette combinatoire qui est proprement humaine. Les grands singes n’y ont pas accès. Pour les néanderthaliens, la question reste posée.
Des différences significatives ont cependant été notées entre les deux lignées. Les néanderthaliens ne semblent avoir pratiqué ni la peinture ni la sculpture, et ils n’ont pas développé des technologies d’outillage mais seuls soixante gènes, dont ils auraient été les détenteurs exclusifs les distinguent des Sapiens. C’est très peu au regard des 20 000 gènes que l’on comptabilise dans les génomes des deux lignées.
Une seule race humaine
Entre les humains vivant actuellement sur la planète, les différences que l’on peut constater (apparence, couleur de peau) ne marquent pas, contrairement à ce qu’exprime le langage courant, l’appartenance à des races différentes mais résultent bien plutôt de l’adaptation à l’alimentation et à l’ensoleillement du milieu dans lequel nos ancêtres ont évolué dans le passé.
Notre ADN est composée à quelques variantes près de 2% de gènes néanderthaliens, 8% de chasseurs cueilleurs, 60 % provenant des fermiers venus d’Anatolie qui ont supplanté progressivement les chasseurs cueilleur lors du néolithique et 30 % d’un peuple Yamnaya : des éleveurs nomades des steppes vivant au nord de la mer Noire et de la mer Caspiennes, dans la région de la Volga, venus s’installer dans nos contrées pour des raisons non élucidés, voici plus de 5000 ans.
Les Européens du néolithique, 10 000 ans avant notre ère, qui ont peint les grottes de Lascaux, étaient noirs de peau et il a fallu attendre 6000 ans avant notre ère pour que leur peau prenne une teinte plus claire pour une meilleure adaptation au climat froid des pays où ils vivaient. Donc tous les sapiens, quelle que soit leur couleur de peau ou leur provenance géographique sont cousins et identiques à 99.9 %. Actuellement donc il n’existe qu’une race d’humains sur la terre, celle des Sapiens.
Les gènes et l’hérédité
Aujourd’hui les généticiens l’ affirment, il n’existe pas de gène de l’intelligence. Nos aptitudes intellectuelles découlent essentiellement de notre éducation et non pas de l’hérédité comme on l’a longtemps cru. Pour expliquer l’intelligence hors norme qui distingue les humains du monde animal, ils évoquent l’évolution qui, au des derniers millions d’années, a favorisé le développement de notre cerveau.
Il semblerait que plus la nourriture est diversifiée et compliquée à obtenir, plus le cerveau se développe. Les singes dont descendent les humains devaient savoir localiser les fruits, déterminer la période de l’année où ils sont mangeables, et donc dresser une carte mentale des lieux de cueillette. Chasser ou débarrasser les fruits de leur coque supposait l’invention d’outils et favorisait également un développement de l’intelligence.
La deuxième raison évoquée par les anthropologues pour expliquer l’intelligence est liée aux incessants rapports sociaux qu’entretiennent les humains. Relations multiples, interactions riches exigeant des aptitudes cognitives et les faisant évoluer. En fait les humains sont des singes qui coopèrent, possèdent une culture, s’adaptent au milieu et développent plusieurs types d’intelligence : créative, pratique, émotionnelle.
Un livre passionnant donc qui développe avec talent le point de vue des anthropologues. Pour compléter les connaissances développées dans ce remarquable ouvrage, on lira avec profit des œuvres traitant de l’évolution darwinienne et on pourra réfléchir également aux recherches des paléo-virologues qui ont montré l’importance dans notre génome des séquences issues de virus, soit dormants, soit s’exprimant à diverses occasions.
Mais ceci est une autre histoire.
Affaire à suivre donc.