LE GRAND LIVRE DES GNOMES, de Terry Pratchett

Rien n’est impossible pour les gnomes, ces petits êtres de dix centimètres vivant au voisinage des êtres humains.  L’une de leurs années correspond à dix des nôtres. Leurs mouvements sont si rapides que leurs déplacements nous sont difficilement perceptibles. Leur voix aiguë émet ce qui pourrait s’apparenter pour nous, si d’aventure nous nous trouvions face à eux, à des couinements de petits animaux. S’il faut en croire Terry Pratchett et Grand livre des gnomes, ils vont pourtant vivre une aventure gigantesque.

Lorsque commence le roman, Masklinn, le héros est abonné aux tâches impossibles, la première étant de trouver assez de nourriture pour la tribu autrefois riche de nombreux guerriers, aujourd’hui réduite à quelques vieillards ronchons et toujours affamés. Unique chasseur de ce petite groupe de gnomes en perdition, il use sa vie dans une quête sans fin de champignons, de baies à moitié gelées, de noisettes, de miettes de hamburgers et autres frites froides, de trognons de pomme et, quand la chance lui sourit, d’un os de poulet ou d’un mégot abandonné. Les dangers qui le menacent ont de multiples formes plus terrifiantes les unes que les autres, rats, blaireaux, voire renards, de redoutables prédateurs pour lesquels « un chasseur tout seul, sans personne pour surveiller ses arrières dans les herbes hautes » devient une proie idéale. Le salut de ce guerrier minuscule réside moins dans son courage, réel mais le plus souvent inutile, que dans sa capacité à courir à toutes jambes « avec une paire de mâchoires à ses trousses ».

Chef malgré lui

Tout comme Bilbo, le hobbit auquel Tolkien a donné vie au milieu du siècle dernier, Masklinn est un héros dérisoire condamné à mener des expéditions monotones et débilitantes récompensées par de médiocres butins. Sans cesse contraint à fuir et à se cacher pour simplement survivre, il se montre incapable de réaliser la seule chose qui lui tienne vraiment à cœur : déclarer ses tendres sentiments à Grimma qui, avec lui, assure à grand peine la survie de la tribu.

Un jour cependant, décidant que cette situation ne peut plus durer, il embarque tout son monde dans un camion en partance pour il ne sait où. Cette décision marque le début d’une série d’épisodes rocambolesques qui conduiront le petit peuple dans l’univers paradisiaque du Grand Magasin, puis lorsque la destruction de celui-ci sera programmée, dans une carrière abandonnée aux commandes d’un camion volé. Masklinn et quelques-uns de ses comparses embarqueront dans un avion Concorde et finiront enfin par organiser le retour du petit peuple vers le monde lointain de ses origines car, Masklinn l’apprend en même temps que le lecteur, les gnomes viennent d’une planète lointaine.

Comme dans les contes traditionnels, notre héros, chef malgré lui doté mais d’un solide bons sens, d’un courage à toute épreuve et d’une intelligence des situations, reçoit pour vaincre les forces dont il est le jouet et qui le dépassent, l’assistance d’un objet magique, le truc, minuscule boitier noir et inerte qui s’ éveille lorsqu’il se trouve proche d’une source électrique et se révèle être un ordinateur de grande puissance, vestige du vaisseau qui a amené les gnomes sur la terre et qu’ils doivent retrouver pour pouvoir rentrer au bercail.

Des gnomes plus qu’humains

Tout au long de cette odyssée qui n’est pas sans rappeler les Voyages de Gulliver, Terry Pratchett régale le lecteur de péripéties plus invraisemblables les unes que les autres écrites dans un style alerte et plein d’humour. Son analyse sans concession de la petite société des gnomes qui n’est pas sans rappeler les travers de nos sociétés humaines, offre à l’auteur l’occasion d’une savoureuse peinture de mœurs. L’intermède du Grand Magasin, épisode paradisiaque pour les gnomes de la tribu de Masklinn , leur révèle que l’abondance existe et leur permet de découvrir que les milliers de leurs congénères peuplant tous les interstices et les vides laissés par les humains, « ces êtres immenses et lents qui ont vraiment la belle vie dans un monde fait à leur mesure », ne sont pas, en fait, dissemblables d’eux.

Les gnomes du Grand Magasin se montent en effet très humains. Ils ont des convictions bien arrêtées que les faits peinent à entamer, pratiquent une religion dogmatique et ont mis en place une société divisée en classes en fonction des rayons dans lesquels ils vivent. Comme chez les hommes, les luttes d’influence entre les Merceri, les Quincailleri, les Maroquini, les Papetiri, empêchent toute compréhension et toute action commune. Comme les humains  les gnomes sont pétris de certitudes. Leur religion a pour fonction de les préserver des changements et de la tentation de réfléchir par eux-mêmes.

Leurs prêtres, même les plus sincères, sont formels : le dehors n’existe pas. Rien n’existe hors des bâtiments du Grand Magasin créés pour eux par celui qu’ils vénèrent comme un dieu Arnold, frères. Fond.1905. L’arrivée inopinée de la tribu de Masklinn, puis au cours des diverses pérégrinations, la rencontre d’autres gnomes habitant ce dehors qu’ils nient et professant, de manière tout aussi dogmatiques qu’eux des croyances différentes, peine à les persuader de leur erreur.

On lira avec profit ce livre plein d’humour où Terry Pratchett relève avec brio le flambeau de ses illustres prédécesseurs. On pense évidemment à Swifft et Tolkien. Son petit peuple s’y montre bien supérieurs au peuple des grands, car même s’ils semblent tout aussi doués que nous pour nier l’évidence, du moins n’ont-ils pas mis en place des bûchers pour brûler leurs dissidents ou des goulags pour leur apprendre à respecter l’orthodoxie.

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