La bienveillante présence des arbres

Lequel d’entre nous n’a pas fait l’expérience de se retrouver seul au sein d’une forêt ? Excitation de la cueillette, plaisir de la découverte et, tout à coup, la perception d’une obsédante présence. Menace ? Ou plutôt sentiment qu’une vie différente est à l’œuvre ? Qu’une  immense force se tient autour et au-dessus de nous, immobile. Une sensation bouleversante avec, pour  réponse, l’angoisse et la fuite ou la fascination.

Pour Francis Hallé, c’est manifestement la fascination qui l’a emporté s’il faut en croire son interview sur France Inter à l’occasion de la sortie de son livre Atlas de botanique poétique. Ce qu’il y révèle ne peut que nous toucher : son  intimité avec les arbres, sa fascination pour ces êtres vivants extraordinaires qu’il a, tout au long de sa vie de chercheur en botanique et biologie, côtoyés, observés, aimés.

En l’entendant parler, en me plongeant dans son livre Plaidoyer pour l’arbre, j’ai retrouvé l’élan qui m’habitait lorsque j’ai écrit mon roman Parole de Seigneurs. Toujours j’ai  éprouvé le besoin de comprendre comment l’homme et l’arbre qui coexistent depuis longtemps et qui ont tant d’intérêts communs ont pu, au fil du temps, s’oublier si complètement. Ils sont pourtant depuis les débuts de notre espèce « partenaires dans cette entreprise hasardeuse qu’est la vie sur terre » selon la belle expression de Denis Michel dans ce même livre. Comment oublier que ce sont les arbres qui fournissent notre oxygène et absorbent le gaz carbonique contenu dans l’atmosphère ? Sans arbres, notre planète ne tarderait pas à devenir une planète sans hommes.

Les anthropologues savent combien l’espèce humaine est redevable aux arbres. « Notre identité, notre origine ont jadis dépendu de leur rassurante présence à nos côtés, nous leur devons  notre nature d’êtres humains…. Les arbres nous ont façonnés » écrit encore Denis Michel. Ces compagnons des origines ont été les moteurs de l’évolution qui conduit à l’espèce humaine, une histoire qui demeure encore mystérieuses malgré toutes les recherches

Les poètes le savent bien qui, avec leur clairvoyance, saluent  les liens unissant, dans l’imaginaire collectif, l’homme et l’arbre qui sont faits « du même bois, un peu rustique, un peu brut » s’il faut en croire Georges Brassens. Les arbres, nos semblables, nos frères plus favorisés par la nature sont-ils porteurs d’une sagesse multimillénaire ? Ou bien sont-ils une matière à exploiter sans modération ? Les arbres donnent tout et les hommes prennent sans se poser aucune question. Ainsi pour le  grand chêne qui « vivait en dehors des chemins forestiers » n’étant pas « un arbre de métier »

« A l’orée des forêts, le chêne ténébreux
A lié connaissance avec deux amoureux.
« Grand chêne, laisse-nous sur toi graver nos noms…
Le grand chêne n’a pas dit non »….

On a pris tous ses glands pour nourrir les cochons,
Avec sa belle écorce on a fait des bouchons,
Chaque fois qu’un arrêt de mort était rendu,
C’est lui qui héritait du pendu…

Un triste jour enfin, ce couple sans aveu
Le passa par la hache et le mit dans le feu.
Comme du bois de caisse, amère destinée !
Il périt dans la cheminée.

Le curé de chez nous, petit saint besogneux,
Doute que sa fumée s’élève jusqu’à Dieu.
Quest-ce qu’il en sait , le bougre, et qui donc lui a dit
Qu’y a pas de chêne en paradis ? (bis)

Contrairement à José le Piez, élagueur et « arborisculpteur » auquel Francis Hallé donne également  la parole dans Plaidoyer pour l’arbre, je n’ai jamais entendu la voix des arbres. Je l’ai rêvée, imaginée, fantasmée. Mais , en moi comme en chacun de nous, demeure le désir de chercher dans les sons qu’ émettent les arbres la résurgence d’une voix mystérieuse. J’éprouve le besoin de de renouer les liens sacrés qui unissent aux  hommes les arbres, traits d’union entre le ciel et la terre. Ne dit-on pas que dans les bruissements des feuilles d’un chêne séculaire, les grecs entendaient les réponses de l’oracle de Zeus ?

La voix des arbres, nous l’entendons tous cependant. Sans faire appel aux mythes ni à l’imagination, les instruments de musique nous la restituent. Les luthiers savent que chaque type de bois donne un instrument d’une sonorité différente « Chaque arbre fabriquant un bois d’une structure et d’une densité particulière va posséder une voix unique », écrit encore José le Piez. « Ainsi, le Chêne dense et nerveux grince comme un vieillard grognon, alors que le Cèdre du Liban, au bois tendre et au grain fin, se met plus facilement en résonance et produit des sons doux et mélodieux ». Comme Christian Bobin : « J’ai dans le coeur un arbre. Les grands airs de Mozart font luire ses feuilles comme le sacre d’une pluie d’été »

Dans mon roman : Parole de seigneurs, c’est par les séquoias géants que Thierry Dautrier, enfant  solitaire, a découvert les liens unissant l’homme et la nature. Pour l’homme qui,  à l’âge adulte, amène sa famille auprès de ces mêmes arbres, ils font figure d’intercesseurs entre lui-même et celui qu’il fut. C’est grâce à eux qu’il peut revenir sur l’acte qui a fait de lui un coupable lorsqu’il était un jeune homme. Dans ce lieu privilégié, il s’autorise  enfin à reprendre sa vie à l’endroit où il l’avait laissée lorsque, à 17 ans, il a choisi de continuer sa route en fuyant l’enfant qui lui était imposé. C’est grâce à la bienveillante présence des arbres que le père et le fils peuvent rejouer la partie autrefois perdue et la gagner ensemble.

Pour lire mon roman : https://www.amazon.fr/parole-seigneurs-claire-ad%C3%A9la%C3%AFde-montiel/dp/1534808566. Isbn 1534808566

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s